Rebondir quand le travail fait mal

Oui, le travail peut rendre malade… et il est important d’en parler.


À l’heure où les rythmes s’accélèrent et où l’action devient un impératif permanent, de plus en plus de salarié·e·s, cadres, soignant·e·s et dirigeant·e·s se retrouvent tiraillé·e·s, pris·e·s dans des injonctions paradoxales, déconnectées du sens et souvent en contradiction avec leurs propres valeurs.


Les formations d’excellence nous ont appris à affirmer notre leadership, à chercher à gravir les échelons d’un management de la performance, et à atteindre les plus hautes sphères du pouvoir. Pour y arriver, on nous a appris à tout faire pour mériter nos privilèges et peu importait le prix. 


Mais aujourd‘hui, ce modèle est en train de vaciller. Que ce soit les plus jeunes encore à l‘école qui affirment haut et fort leur choix de bifurquer plutôt que de s‘engouffrer dans des parcours dénués de sens, ou que ce soit les quadras ou quinquas qui cherchent à se libérer des règles des organisations, à la recherche de plus d’authenticité et d‘épanouissement personnel. Il ne s’agit plus de réussir à tout prix, mais de retrouver du sens, d’apprendre, de grandir intérieurement.


Un paradoxe violent.


Pourtant, cette prise de conscience ne se fait pas sans heurts. Il faut souvent que le quotidien professionnel soit devenu presqu‘invivable pour qu’elle puisse être verbalisée : Absence de solidarité, tâches absurdes, pression continue…

Or, tout cela peut laisser des traces profondes. Et dans un monde où la réussite est sacralisée, admettre ses difficultés, montrer qu’on vacille, c’est trahir le mythe de la réussite et de la méritocratie auquel on a longtemps cru. Le déni devient parfois un mécanisme de survie pour que nos croyances ne s‘effondrent pas et avec lui, tout ce qui constitue nos repères. 


Si cela touche de nombreux cols blancs, employés ou cadres, cela concerne aussi le haut de la pyramide managériale. De plus en plus de cadres supérieurs sont mis sur la touche. Ceux-là mêmes qui ont non seulement suivi les règles, qui ont incarné les valeurs de l’entreprise, voire qui les ont edictées finissent par être vus comme des freins à la transformation au fur et à mesure des années.  Alors que tout concourrait à l’idée qu’ils devaient coûte que coûte se fondre dans le moule, les transformations de plus en plus rapide du monde des organisations leur enjoignent désormais de retrouver au contraire une individualité innovante, celle-là même qu’on leur a appris à étouffer.


Winnicott a longuement decrit la notion de faux self : ce masque social que l’on construit pour s’adapter. Maryse Dubouloy ou Alice Miller ont montré comment les individus brillants, souvent dès l’enfance, poussent ce mécanisme très loin – jusqu’à perdre tout contact avec leur identité profonde. Résultat : on rencontre aujourd'hui à tous les niveaux de l’entreprise une génération de dirigeants de haut niveau comme de niveau intermediaire qui ne sait plus qui elle est vraiment, ni ce qui la fait vibrer.

Souvent mis à l’écart pour avoir trop bien joué le jeu, ils souffrent d’avoir sacrifié leurs besoins essentiels sur l’autel de la performance. Cette mise à l’écart brutale, perçue comme une injustice, génère une immense douleur.


Il est temps de replacer le travail à sa juste place.


Il existe, bien sûr, des chemins pour se reconstruire. Pour certain·e·s, cela passera par une thérapie, pour d’autres par le coaching. Mais dans tous les cas, il faut d’abord oser s’arrêter, faire une pause, et réfléchir au sens de ses actions.

Redéfinir ses valeurs, apprendre à les respecter, prendre soin de ses besoins profonds : autant de clés pour prévenir l’épuisement. 

Mais encore faut-il briser le tabou. Accepter que l’on puisse avoir du mal. Cesser de croire que fléchir, c’est échouer.

Il devient urgent que la fameuse "agilité", si prisée dans les discours d’entreprise, inclue enfin le droit à l’erreur – même (et surtout) tout en haut de la pyramide.

Les neuropsychologues et les médecins militaires le confirment : une conscience aiguë de son corps, un lien solide entre mental et physique, la conscience de ses vulnérabilités sont des facteurs de protection contre les traumatismes. Boris Cyrulnik explique que les soldats préparés à l’idée de vivre des expériences traumatisantes résistent mieux au stress post-traumatique. Or dans le monde du travail, toute proportion gardée, la surprise de la violence subie a des effets qui s‘apparentent au traumatisme. 

Remettre le travail à sa place. Accueillir et respecter à ses désirs profonds. Comprendre que le travail, s’il est important, ne peut ni ne doit tout définir. Cela permet aussi de mieux accepter l’échec. Car oui, il fait partie du chemin. Tomber, se relever… c’est ça aussi, la vie professionnelle. Comme les militaires se préparent à prendre des coups, il est essentiel d’apprendre à chuter pour nous relever ou simplement explorer de nouveaux chemins, de nouvelles possibilités auxquelles nous n‘avions pas forcement pensé de prime abord. 

Je rêve parfois d'une entreprise où les managers auraient d'abord appris à tomber avant de réussir. Parce qu'il n'est pas possible d'innover sans prendre le risque de se tromper....






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