Que nous disent les pensées extrêmes de nos croyances?

A travers son ouvrage sur La pensée extrême, Gérald Bronner Interroge nos croyances

 

Dans La pensée extrême, Gerald Bronner nous parle essentiellement des croyances et des biais cognitifs avec lesquels nous pensons et percevons la réalité. Les biais cognitifs peuvent prendre de multiples formes. Généralement ils se construisent sur la base d’erreurs de perception, d’évaluations approximatives ou erronées ou encore d’interprétations basées sur des erreurs de logique. Plus généralement, l’auteur nous rappelle que la façon dont nous décryptons la réalité a d'abord pour objectif de permettre à notre cerveau de réduire les zones d’incertitude.

 Y compris lorsque nous croyons suivre des raisonnements rationnels nous nous trompons souvent.  Notre cerveau nous joue des tours et tend à privilégier certaines informations au détriment d’autres. Son objectif est de raccourcir au maximum le temps de traitement des informations. A l’origine, c’est sans doute ce qui fait que nous avons survécu face à tous les dangers rencontrés dans les périodes les plus primitives de l’histoire de l’être humain. Mais aujourd’hui toujours, il tend à emprunter systématiquement des raccourcis dans son cheminement en utilisant notamment les automatismes et les mécanismes de croyance que nous avons construit au cours de notre vie. En outre, notre esprit, fût-il le plus affûté, a une capacité finie: 

 

·      Sur le plan dimensionnel il n'a véritablement conscience que du lieu où nous sommes.

 

·      Culturellement, il a engrangé toute une série d'interprétations et de représentations qui pré-existent avant même que nous ne percevions les  faits.

 

·      Cognitivement, le nombre des informations qu'il peut traiter est limité.

 

Les croyances ont donc aussi pour fonction de nous permettre de nous mettre en mouvement et de décider malgré les limites de notre esprit. Elles nous rendent un service immense. Il serait en effet terrible de devoir attendre de connaitre l’ensemble des paramètres (si tant est que cela soit possible) pour agir. C’est d’ailleurs la principale raison pour laquelle nous dit Gerald Bronner, une société où l’accès à l'information se démultiplie  est une société des croyances. L'irrationalité devient la norme car personne ne peut traiter la totalité de l'information disponible.

Dans les sociétés modernes, nous démontre-il,  nous sommes tous amenés à être des radicaux. Nous croyons par exemple radicalement que l’esclavage est une mauvaise chose. Nous croyons radicalement que tuer son prochain est un comportement à proscrire. Nos croyons radicalement en la démocratie Etc…

A ce titre les pensées extrêmes ne sont finalement que des pensées radicales comme les autres.  Elles  ne sont ni le produit de la folie ni celui du manque d'éducation. Chaque étape de l'adhésion aux croyances extrêmes, est  le produit de comportements tout à fait  "raisonnables" lorsqu'il sont remis dans leur contexte et du point de vue du seul individu qui les agit.

Ce qui différencie l’extrémisme du radicalisme de tout un chacun,  c’est qu'il repose sur des croyances radicales en des idées elles-même radicales. Le refus de l’esclavage n’est pas une pensée radicale. Le refus du meurtre non plus. En revanche le génocide des juifs est une idée radicale. C’est aussi le cas des théories terroristes de tout bord.  Les extrémismes sont donc des irrationalités (presque) comme les autres, mais qui se construise dans un contexte fortement manipulé. Cette manipulation ayant pour but justement, de produire cette somme de petits comportements et de petites décisions raisonnables pour la personne,  mais qui la conduisent vers les extrêmes.  

En montrant que les hommes qui commettent des actes extrêmes, sont statistiquement et sauf exception,  des hommes ordinaires : ils sont normaux du point de vue psychiatrique et ont un sens moral qui les pousse à agir au nom de ce qu’ils considèrent être le bien ;   Bronner reconstruit ici le développement de l’univers mental des personnes extrémistes étape par étape. Il met en perspective les tournants décisifs dans la construction de leurs croyances extrêmes et en particulier le rôle de la frustration, du déracinement  et de la colère. Il montre comment dans les pensées extrêmes a eu lieu une sorte de travail de "purification" face aux dissonances rencontrées et en particulier face à la sensation de déclassement. Pour lui, c’est en effet  l'incapacité à -et/ou la volonté (souvent manipulée) de ne pas- accepter l'incertitude qui pousse ces personnes vers une action extrême, seule échappatoire pour évincer radicalement toute situation contradictoire : face au déclassement social, il est par exemple,  très confortable de croire en une théorie du complot ou du bouc émissaire; C’est notamment sur ce registre que viennent  jouer aujourd’hui les théories de l’islamisme radical ou qu’en son temps, le nazisme a construit sa philosophie.  

Au total, si ce livre insiste sur le fait qu’il est très différent de comprendre le raisonnement d'un individu et  d'en admettre le résultat a fortiori de l'excuser, il bat également en brèche l'idée que l'extrémisme serait le produit d'un manque d'éducation ou de problèmes psycho-sociologiques. Ce faisant l'auteur nous interroge donc sur nos propres croyances contradictoires, sur nos incertitudes et sur notre besoin d'agir pour contrer nos inquiétudes intimes, voire nos angoisses.

 

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